Hiver à Sokcho, Elisa Shua Dusapin

Editions Folio, 2018, 160 pages, 2018, 6€90.

Présentation de l’éditeur :

« Il avait griffonné un buste de femme cambrée, seins nus, pieds à demi cachés par la courbe d’une fesse. La respiration de Kerrand s’est accélérée au rythme de son coup de plume. Il a fait couler toute l’encre du pot, la femme a titubé, cherché à crier encore, mais le noir s’est glissé entre ses lèvres jusqu’à ce qu’elle disparaisse ». A Sokcho, petite ville portuaire proche de la Corée du Nord, une jeune femme rêve d’ailleurs dans une pension modeste. Chaque jour, elle cuisine pour les rares visiteurs venus s’isoler du monde. L’arrivée d’un Français, auteur de bandes-dessinées, vient rompre la monotonie de l’hiver. Ils s’observent, se frôlent, et à mesure que l’encre coule, un lien fragile naît entre ces deux êtres aux cultures si différentes, en quête d’absolu.« 

C’est un premier roman très remarqué par la critique lors de sa sortie , lauréat de nombreux prix, d’une jeune romancière Franco-coréenne. Dès l’incipit, on comprend pourquoi ce roman ne ressemble à aucun autre tant il développe une voix singulière et une surprenante maîtrise de la narration.

En soi, l’histoire est banale mais ce qui l’est moins, c’est l’atmosphère qui naît de cette histoire. Une jeune-femme rêve d’une autre vie dans une triste pension désertée par les touristes en hiver. L’arrivée d’un touriste européen, auteur de bandes dessinées, casse la morosité de ces jours d’hiver. Se nouent des liens silencieux entre ces deux personnes aux cultures tellement différentes.

Ce qui frappe dans ce court texte c’est son style. Un vrai style , de ceux qui font naître spontanément des images, un style économe où pas un mot n’est de trop. Une douce mélancolie imprègne toutes les pages et dévoile une quête d’absolu vaine chez les deux protagonistes.

Plaisir immense de lire une belle prose, fluide, sans boursouflures ! Les Billes du Pachinko, deuxième roman d’Elisa Shua Dusapin, est déjà commandé !

Extrait :

 » Ce n’était pas du désir. Cela ne pouvait pas l’être, pas avec lui, le Français, l’étranger. Non c’était certain, il ne s’agissait d’amour ni de désir. J’avais senti le changement dans son regard. Au début il ne me voyait pas. Il avait remarqué ma présence comme un serpent se glisse en vous pendant vos rêves, comme un animal de guet. Son regard, physique, dur, m’avait pénétrée. il m’avait fait découvrir quelque chose que j’ignorais, cette part de moi là-bas, à l’autre bout du monde, c’était tout ce que je voulais. Exister sous sa plume, dans son encre, y baigner, qu’il oublie toutes les autres. Il avait dit aimer mon regard. Il l’avait dit. Comme une vérité froide et cruelle qui ne le touchait pas le moins du monde dans son cœur, juste dans sa lucidité.

Je n’en voulais pas de sa lucidité. Je voulais qu’il me dessine.  »

2 Comments

Répondre à Un balcon en fôret Annuler la réponse.